Le Café Arco se trouve au Nord de Nouvelle Ville (Novè Mĕsto), au n° 16 de la rue Hybernská (à l’époque Hibernergasse), plus précisément à l’angle des rues Hybernska et Dlážděná. Il fait face à la gare centrale et se trouve au rez-de-chaussée d'un bâtiment Renaissance qui appartint au poète Vit Ventulin de Turtelstejn. Dès son ouverture en 1902, ce café devint le point de ralliement de l’intelligentsia pragoise. Les intellectuels les plus assidus, tels que les membres du « cercle de Prague », sont appelés les « Arconautes », appellation tirée directement du nom du café.

Façade « kavárna Arco » : site Radio Prague  Intérieur du Café Arco : Lemaire Gérard-Georges, Franz Kafka à Prague, Paris, Edition du Chêne, 2002

C’est un établissement très élégant qui a été créé par l’architecte austro-hongrois Jan Kotěra, une des figures importantes de l’architecture moderne en Bohème. L’intérieur des salles a été décoré par le peintre František Kysela dont l’œuvre est inspirée par le courant art déco.

Intérieur du Café Arco (grande table et chaises) : Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008  Intérieur du Café Arco (billard) : Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008

La clientèle

Ernst Pawel a décrit ce café comme « l’un des plus grands centres littéraires du continent » en 1912 :

On comptait parmi les habitués du Café Arco une bonne partie de l’élite artistique et littéraire de Prague – acteurs, peintres et une foule d’écrivains juifs allemands, en même temps qu’un nombre non négligeable de Tchèques. C’était même en fait ce prudent « rapprochement » tenté entre les avant-gardes tchèque et allemande, sous l’impulsion d’auteurs bilingues tels que Brod, Kisch, Pick et Fuchs, qui donnait son cachet très particulier au Café Arco .

Lemaire Gérard-Georges et Hélène Moulonguet, Franz Kafka à Prague,
Paris, Editions du Chêne, 2002.

Le Café Arco devient assez rapidement un des principaux lieux d’élection des intellectuels de langue allemande. Dans une Prague où coexistaient Tchèques et Allemands, le Café Arco était considéré à l’époque comme l’équivalent germanophone du Café Union, où se réunissaient en majorité des intellectuels de langue tchèque. Au Café Arco venaient plutôt des artistes de familles aisées.

Une clientèle de jeunes écrivains encore étudiants

Une bonne partie de la clientèle du Café Arco était des étudiants de familles allemandes plutôt aisées. Ces jeunes gens faisaient partie de la même génération, ils sont en effet nés entre la fin des années 1880 et la moitié des années 1890 et firent du café un lieu de réunion et de débat entre auteurs germanophones, tout en gardant un vif intérêt pour la culture tchèque, comme le prouve l’entente cordiale qui régnait entre le Café Arco et le Café Union dont la majeure partie de la clientèle était tchèque.

Johannes Urzidil (né en  1896) faisait partie des premiers clients du café. Bien qu’issu d’une famille composée d’un père catholique allemand et d’une mère juive, et bien que désigné comme écrivain allemand, Urzidil était également imprégné de la culture tchèque. Il a en effet étudié après le lycée les langues slaves à l’université. C’est au Café Arco qu’il fit la connaissance de Kafka, Kisch, Werfel et Brod. C’est à cet endroit qu’il noua rapidement des liens avec des auteurs aussi bien germanophones que des personnalités importantes de la culture tchèque de l'époque, ce qui contrecarrait la tendance générale d’enfermement de l’époque, et qui permit, au-delà des clivages, de construire un pont entre deux cultures par une attitude d’ouverture et de compréhension.

Paul Kornfeld (né en 1889) dont les camarades de classe étaient Hans Janowitz et Willy Haas, organisait des séances chez lui, où lui et ses amis faisaient du spiritisme et lisaient leurs écrits. Leur autre point de ralliement était le Café Arco, où leur cercle s’élargit à d’autres participants.

Willy Haas (né en 1891) issu d’une famille juive allemande, connut dans ses jeunes années le Café Arco dont l’ambiance éveilla son intérêt pour la littérature. Il étudia tout d’abord le droit avant de créer plus tard la revue Herder-Blätter dans laquelle il fit publier des articles de ses amis écrivains et dans lequel il écrivit des essais critiques littéraires.

Franz Werfel, né en 1890, était issu d’une famille bourgeoise juive-allemande. Tout comme nombre de ses camarades il n’était encore qu’un étudiant lorsqu’il fréquentait le Café Arco.

Portrait de Franz Werfel : site Radio Prague

Max Brod le décrit ainsi :

Werfel, l’étudiant à la large tête de Schubert, à la silhouette peu grande mais puissante et trapue, au doux regard bleu et enfantin, et au rire prompt, Werfel connaissait tous ses poèmes par cœur, plein d’entre eux qui n’ont jamais été publiés. Il les récitait d’une voix menaçante, ses gros poings blancs serrés, la face penchée, le regard perdu dans un coin éloigné de la pièce, en une seule fois la sombre voix descendait d’une octave […]. Et les clients se plaignaient au serveur en chef qui était lui-même un admirateur silencieux du jeune poète encore peu connu […].

traduit de l’allemand « Max Brod : Prager Cafés »,
In : Halamíčková, Jana, Prag, ein Lesebuch,
Frankfurt a. M., Insel, 1988, p. 224.

Le Café Arco, malgré son ambiance cossue, était le lieu de débats passionnés et d’activités diverses. Milena Jesenská qui fréquentait assidûment le Café Arco dira de son ambiance :

Au café on écrit, on corrige, on discute. Au café on pleure et on peste sur la vie et contre la vie. Au café on mange à crédit, au café on procède aux transactions d’argent les plus périlleuses. Au café on vit, on paresse, on tue le temps.

témoignage traduit de l’allemand,
In : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p. 318.

« Le cercle de Prague »

Le « cercle de Prague » qui se réunissait ici à partir de 1904 comptait parmi ses membres Max Brod, Kafka, Felix Weltsch et Oskar Baum. Il s’agit surtout d’un cercle littéraire et leur but premier est de rompre avec le néo-romantisme. Max Brod mettra en garde contre certaines mauvaises interprétations de ce qui se passa jadis au Café Arco  :

Les histoires que l’on a forgées autour du Café Arco sont fausses ou du moins hautement romancées. Ce n’est qu’à l’époque à laquelle Werfel et sa clique avaient investi le nouveau Café Arco et en avaient fait leur quartier général qu’il était digne d’intérêt.

Lemaire Gérard-Georges et Hélène Moulonguet, Franz Kafka à Prague,
Paris, Editions du Chêne, 2002.

Le Café Arco devient leur lieu de réunion, tout comme le Café Louvre pour le « cercle du Louvre » de Berta Fanta par exemple.

Portrait de Milena Jesenská : site Radio Prague

Outre l’intérêt littéraire, les réunions au Café Arco sont l’occasion de rencontres entre Tchèques et germanophones. C’est en effet lors d’une réunion au Café Arco que Kafka rencontre la jeune Tchèque Milena Jesenská à qui il demanda plus tard de traduire quelques uns de ses écrits en tchèque. 

Une ambiance cordiale régnait entre le Café Union et le Café Arco. Selon František Langer dans Arma virumque  :

La relation entre nous et les jeunes auteurs allemands était particulièrement amicale. Nous nous intéressions réciproquement à nos travaux, échangions nos premiers jets et Brod tout comme Pick s’occupaient déjà à l’époque de la musique et littérature tchèques et aidaient à surmonter les barrières de la langue

témoignage traduit de l’allemand,
In : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.13.

Cette citation montre à quel point le Café Arco, entre autres, fut un des hauts lieux de réunion de l’élite, balayant tous les clivages de la société pragoise. Il a symbolisé une communauté intellectuelle au-delà des groupes sociolinguistiques et culturels.

Des clients journalistes

Le Café Arco ne comptait pas qu’une clientèle de pures littéraires, il attirait également des journalistes et des rédacteurs qui venaient ajouter une perspective différente dans les débats, celle de l’actualité. De nombreux rédacteurs du journal de langue allemande Prager Zeitung faisaient partie la clientèle du café.

Portrait d'Egon Erwin Kisch : site Radio Prague

Le journaliste et écrivain Egon Erwin Kisch (né en 1885) était lui aussi un habitué du Café Arco (et également la figure emblématique du Café Montmartre). Il était issu d’une famille juive et apprit l’allemand et le tchèque lorsqu’il était enfant. Passionné par le journalisme, il abandonne polytechnique pour la vie des cafés et ses cercles littéraires. A l’époque où il fréquentait le Café Arco il était reporter local pour le journal libéral allemand Bohemia, qui comptait parmi les quotidiens germanophones les plus influents. L’originalité et l’énergie de Kisch apporta un certain élan aux débats menés au Café Arco et son goût pour le journalisme permit d’orienter certains débats littéraires vers des sujets de l’actualité de l’époque.

Ses particularités

Malgré les réunions, les lectures des écrits à voix hautes restent assez rares, seul Werfel s’y aventure malgré les plaintes des autres clients. Une grande partie des journaux étant financée par lui, les serveurs le réprimandent très peu. Voici ce qu’en dit Kafka dans son journal de bord concernant la journée du 30 août 1912 :  

Samedi dernier Werfel récita les „Lebenslieder“ et „das Opfer“ au Café Arco…

Comme dans les autres cafés renommés de Prague, les écrivains échangent leurs points de vue sur leurs écrits respectifs. Des conférences y sont même parfois organisées, Heinrich Mann y donna même une conférence sur Emile Zola en pleine Première Guerre Mondiale, ce qui provoqua une grande agitation au sein du café à cause des circonstances historiques. La montée des nationalismes a en effet atteint son paroxysme et la guerre a accentué les visions antithétiques de l’art littéraire, qui se déchire entre tradition et ouverture. Heinrich Mann s’inspire en effet de la culture française, tandis que son frère Thomas est un fervent défenseur de la culture allemande. Selon le témoignage que livre František Langer dans Arma virumque, le Café Arco proposait un très large choix de journaux de la presse internationale :

les plus grands quotidiens, journaux et périodiques européens, et surtout les très précieuses revues artistiques en langues allemande, française, anglaise et russe […] les exemplaires les plus précieux étaient placés en sécurité et remis seulement en main propre.

témoignage traduit de l’allemand,
In : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.13

Selon lui le Café Union, à tendance tchèque et le Café Arco, à tendance allemande, étaient en compétition sur la qualité des journaux qu’ils proposaient à leurs clients. Le but était de proposer à la clientèle le plus large choix de journaux et revues, signe éclatant de richesse culturelle.

Ce qu’est devenu le Café Arco

Après les effets irréversibles de la période nazie, puis communiste, le Café Arco a subi le sort commun réservé à la majorité des cafés littéraires pragois et n’est plus jamais redevenu celui qu’il était autrefois. Après la seconde guerre mondiale, privée de ses écrivains qui l’avait rendu célèbre, son activité s’est radicalement essoufflée, ce qui l’a mené à la fermeture. Après sa réouverture, le Café Arco a été reconverti en restaurant.


Il existe toujours et continue toutefois à attirer les touristes grâce à sa réputation et la légende qu’il a générées.