Le Café Montmartre était un café nocturne qui avait la réputation d’être turbulent : il reflétait la diversité de la ville et avait un certain goût pour la polémique. Il fut ouvert en 1911 par Josef Waltner, ancien propriétaire du café chantant Olympia, et se trouvait dans la rue Rĕtĕzová, appelée U třech divých, « Aux trois sauvages ». 

Portrait de Joseph Waltner : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990
Dessins de V. H. Brunner (danseurs) (1913), Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008
Façade du Café Montmartre : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

L’endroit est assez spécial car pour y accéder les clients devaient passer par un accès ressemblant assez à un passage secret. A l’intérieur, le plafond et les murs avaient été décorés par l’artiste Vratislav Hugo Brunner : ce dernier avait représenté sur une fresque les sept péchés capitaux et c’est pour cette raison que la piste de danse avait été surnommée « l’Enfer ». L’établissement s’était appuyé à la fois sur le modèle parisien du Chat Noir en ce qui concernait l’ambiance et avait voulu y ajouter une aura intellectuelle, qui se justifiait par la présence de peintres, de littéraires et d’étudiants. Le modèle parisien fut vite adapté sur le mode pragois et fut ainsi surnommé le « Montik ».

Photographie de l’animation au Café Montmartre : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Sa clientèle

Portrait de Egon Erwin Kisch : site Radio Prague

Le Café Montmartre, par son activité nocturne, était considéré comme le café d’artistes du Vieux Prague. Sa clientèle était aussi bien germanophone que tchèque. Egon Erwin Kisch y venait régulièrement car il travaillait à la rédaction de la revue Bohemia située dans une rue voisine. A l’époque il travaillait aussi pour le Prager Tagblatt et s’occupait des affaires criminelles et de la vie nocturne. Il devient rapidement la figure emblématique du Café Montmartre et se fait surnommer « Egonek », version tchèque de son prénom. Dans Zitate vom Montmartre, Kisch décrit l’ambiance qui régnait dans l’établissement, qu’il qualifie de « Künstlerkneipe », c'est-à-dire de bistrot des artistes : 

Il était aimé ce bistrot des artistes de la Vieille Ville pragoise […] il y avait également sur les murs des rébus cubistes et des énigmes futuristes qui étaient volontiers acceptés en guise de paiement […]

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.166.

Kisch fait également référence à différents personnages qui donnaient son ambiance si particulière au Café Montmartre : 

Le serveur surnommé Hamlet qui avait le nez rouge, Mademoiselle Revoluce avec ses danses et ses danseurs devinrent des héros de feuilletons et de nouvelles dans des revues sérieuses […]

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.167.

Dessin de V. H. Brunner, ambiance du Café Montmartre : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Outre l’ambiance très festive, l’intérêt de ce café était sa clientèle d’artistes et d’intellectuels qui venaient se détendre et également débattre. Les artistes qui s’y rencontraient étaient de différents groupes sociolinguistiques : on comptait parmi les habitués des personnalités aux appartenances assez hétéroclites comme Max Brod, Kafka, Werfel, Jaroslav Hašek, František Langer, Eduard Bass, Johannes Urzidil ou encore Gustav Meyrink. Ce mélange socioculturel et linguistique assez étonnant figure dans un poème de Karl Ernst Schlesinger qui montre la mixité des genres rencontrés là-bas, qui finalement s’accordent très bien.

Um zwölf Uhr, zur Montmarter-Zeit,
begegnet man manch zarter Maid,
Herr Waltner freudig harrt der Massen,
die niemals das Montmarter hassen,
Hochadel und gelahrter Mob,
sie singen des Montmarter Lob.
Erstaunen selbst Nick Carter müsste,
Wüsst er, wer im Montmarter küsste…

Traduction : « A Montmartre à minuit, une douce jeune fille jamais ne nuit. Monsieur Waltner attend foule, qui toujours à Montmartre se défoule. Aristos ou prolos, tout le monde est aux anges, et de Montmartre chante les louanges. Même Nick Carter serait stupéfait, s’il savait qui au Montmartre s’embrasserait »

Lemaire Gérard-Georges et Hélène Moulonguet, Franz Kafka à Prague,
Paris, Editions du Chêne, 2002.

Ses particularités

Photographie de l’intérieur du Café Montmartre, fresque murale dessinée par V. H. Brunner (1914), Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008

Ses pièces et ses décorations

L’établissement s’organisait de cette manière : la première salle était réservée aux gens les plus pauvres, la deuxième aux jeunes femmes, dont la plupart étaient des ouvrières, souvent reconnaissables à leurs robes et bijoux bon marché, et la troisième salle, tout au fond, était le refuge de la bohème tchèque et allemande. Les murs étaient couverts de compositions artistiques, le plus souvent il s’agissait de tableaux cubistes et expressionnistes, mouvements ayant atteint leur paroxysme à cette époque. L’établissement acquit son prestige à partir de 1918, lorsque la République fut proclamée et devint le repère des cubistes qui le décorèrent avec des pièces maîtresses à caractère souvent parodique dont certaines sont encore présentes aujourd’hui. Selon cette idée le café Montmartre fut entièrement rénové par l’architecte Jiří Kroha en 1920.

Ses activités

Photographies de danses de l’époque : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990.

La grande différence du « Montik » par rapport aux autres cafés c’est qu’il y avait possibilité d’y dîner, et également d’y danser. On innovait les danses à la mode de l’époque comme la danse apache, appelée « šlapák ». C’est la danseuse Emča Revoluce qui mit à la mode le tango argentin à Prague en le dansant pour la première fois au Café Montmartre. Diverses attractions étaient proposées, comme des concours de danses, des animations et des jeux. Les animations étaient proposées en langues allemande, tchèque et même yiddisch : cette particularité du Café Montmartre en faisait un lieu multiculturel car il reflétait la diversité culturelle de Prague. Le serveur principal était surnommé Hamlet, comme le héros de Shakespeare, à cause de son air tragique et son teint blafard. Il était le maître de cérémonie et présentait les attractions.

Il y avait également chaque année une sorte d’almanach appelé Jahrbuch des Montmartres qui était imprimé en 3000 exemplaires par l’imprimerie d’art Grafia avec la participation d’auteurs du théâtre national, de personnes primées par l’Académie de Bohème et de rédacteurs d’articles politiques.

Ce qu’est devenu le Café Montmartre

Après la Première Guerre Mondiale, le Café Montmartre accueille avec entrain les couleurs de la République et fait du cubisme un mouvement artistique quasi national. Le Café Montmartre existe toujours, en 1999 il était en travaux et fut l’objet un projet de rénovation. De nos jours il ne reste ouvert que jusqu’à 23h.

Photographie actuelle du Café Montmartre : Ondrej Lipar (photographe amateur)