Le Café Union se trouvait au coin de Na Perštýne et de la Narodní třida (à l’époque Ferdinandstrasse). Comme la majorité des cafés, il ouvrit ses portes à la fin du XIXème siècle. Aujourd’hui il n’existe plus car le bâtiment dans lequel il se trouvait fut détruit en 1949 malgré les protestations de nombreux artistes. 

Façade du Café Union : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990                Intérieur du Café Union : Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Lorsqu’il ouvrit ses portes le Café Union était un café élégant, et selon le témoignage du peintre tchèque Zdeněk Kratochvíl qui le fréquentait en 1911, on pouvait accéder au café par deux entrées : par une large porte pour la première et la seconde classe et par un petit corridor qui passait devant la cuisine pour la troisième classe. Le café était composé de plusieurs petites salles dont deux ou trois accueillaient les joueurs d’échec et les journalistes. Rapidement il devint un des principaux points de ralliement de l’intelligentsia tchèque, avec le Café Slavia. L’écrivain tchèque František Langer, dans Arma Virumque le considère comme l’équivalent tchèque du Café Arco dont la clientèle était majoritairement germanophone. Afin de donner une consonance plus tchèque au café, ce dernier fut surnommé « Unionka ».

Sa clientèle

Une clientèle plus modeste

Dans ce café venaient majoritairement des Tchèques : des bourgeois, des professeurs d’université, des intellectuels qui occupaient généralement les salles de première et deuxième classes. Les artistes, quant à eux, s’appropriaient les salles de 3ème classe afin de pouvoir débattre tranquillement. Zdeněk Kratochvíl décrit une journée type dans son témoignage à propos du Café Union :

Le Café Union avait ses différentes heures de la journée. Les heures du matin étaient réservées aux lecteurs soucieux qui pouvaient lire ici toutes les revues tchèques dans un calme absolu. La première heure de l’après midi appartenait habituellement à ces « prolétaires » qui venaient déjeuner au Café Union, les « koláč » servis avec une tasse de café étant plus gros ici que dans les autres cafés de prestige. A partir de 4 heure les bourgeois et les scientifiques se mélangeaient au public d’artistes, et de huit heure du soir à 2 heure du matin on ne pensait pas systématiquement à étudier […].

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.170.

Dessin de Sv. Pitra intitulé „Anecdotes de l’Unionka“, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990 Publicité tchèque du Café Union (journal), Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Les différentes couches sociales de la population tchèque venaient lire, se détendre ou débattre au Café Union. Parmi les plus célèbres clients il y avait notamment l’écrivain tchèque František Langer. Ce dernier décrit lui aussi la clientèle du Café Union :

Les clients du café appartenaient à l’Intelligentsia […] mais de notre temps c’était une Intelligentsia de classe moyenne. Les personnages éminents ou les personnalités officielles étaient à peine visibles ici ; seuls venaient de petits fonctionnaires […], et puis des étudiants, des professeurs de lycée, et quand il y avait des professeurs d’université, il s’agissait de ceux de la faculté de philosophie, […] des rédacteurs de petits quotidiens et hebdomadaires […]. D’autre part la bohème typique évitait le Café Union. Quand Hašek nous rejoignait, ce n’était pas en tant que représentant de la bohème pragoise mais d’égal à égal.

traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.10.

En somme la clientèle du Café Union était assez diverse, plutôt située dans les classes moyennes, contrairement à celle du Café Arco ou du Café Louvre dont les clients étaient issus de familles aisées. L’ambiance du Café Union était différente de celle des autres cafés, sûrement parce que ce café n’avait pas la prétention d’être un lieu à la mode.

Le groupe Mánes

Le noyau du cercle qui fréquentait le Café Union était les jeunes membres du groupe artistique « Mánes » qui avait pour but depuis 1887 d’organiser des conférences sur l’art moderne tchèque et international. Ses membres se réunissaient au Café Union : les plus célèbres parmi les écrivains étaient les frères Karel et Josef Čapek et František Langer. En ce qui concerne les autres artistes il y avait l’architecte tchèque Josef Gočár, le sculpteur tchèque Otto Gutfreund, l’architecte tchèque Pavel Janák et le dessinateur Vratislav Hugo Brunner. Ce dernier réalisa de nombreux dessins sur le thème des cafés et des cabarets, notamment les illustrations des affiches du Café Montmartre. Le dessin ci-contre représente le sculpteur Ladislav Beneš en train de lire les journaux.

Dessin de V. H. Brunner „Au café Union“ (1910), Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008
Dessin de V. H. Brunner (autoportrait), Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990                        Photographie de clients du Café Union en pleine lecture, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Le peintre tchèque Miloslav Holý faisait également partie du groupe « Mánes », il a peint en 1925 la toile « Kavárna Unionka » où l’on peut voir un homme et une femme lire le journal.

Peinture de Miroslav Holỳ „Kavárna Unionka“ (1925), Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008

L’esprit du café est omniprésent jusque dans le moindre détail puisque journal lu par la femme est le Lidové noviny (quotidien du peuple), journal dirigé par les frères Čapek et dont le Café Union était le bureau de rédaction.

Ces avant-gardistes sont les piliers de l’art moderne tchèque et c’est grâce à leurs œuvres que l’identité culturelle tchèque réussit à prouver sa particularité et son indépendance, surtout en cette époque de la montée des nationalismes allemands et tchèques. František Langer décrit le groupe d’artistes en ces termes :

La colonne vertébrale de notre groupe d’artistes, qui allait des ainés Gočár et Kysela au plus jeune Karel Čapek, était ces jeunes gens dont peu avaient dépassé la vingtaine. Ils disposaient de tous les attributs de la jeunesse : insouciance, cheveux longs, agressivité et assurance. […] Dès que la conversation se tournait vers des questions artistiques, cette dernière gagnait en intensité, et on pouvait observer la manière dont elle fermentait et bouillonnait au sein de ce groupe [...].

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.13.

Photographie de clients du Café Union, à droite, les frères Čapek, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990         Caricature de Adolf Hoffmeister, représentant František Langer en officier, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Tout comme le Café Slavia, le Café Union, bien que moins moderne, fut le lieu de débats passionnés et d’oppositions.

Ses particularités

Un lieu de partage et d’intimité entre artistes tchèques

Le Café Union, en ce qui concernait son assemblement et son décor, n’avait rien d’original : il est en effet composé de petites pièces, dans lesquelles se trouvaient des tables en marbre, des canapés placés contre les murs et de petites lampes rondes. František Langer confie même que pendant les années 20 le Café Union n’est plus à la mode depuis longtemps, et que de beaux établissements équipés de miroirs muraux et d’éclairages modernes avait déjà fleuri en grand nombre à cette époque. Il décrit même que l’entrée près des cuisines avait « une odeur de moisi et d’humidité mélangée aux vapeurs qui s’échappaient de la cuisine ». Malgré ses décors peu modernes, le Café Union était vivement apprécié par les groupes d’artistes et d’intellectuels tchèques car ses petites pièces permettaient à de petits groupes de se réunir sans gêner leurs voisins.

Dessin du Café Union par Ant. Pelc, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Sa place privilégiée dans le centre de Prague était pratique pour se donner rendez-vous. Cette ambiance fit naître une intimité et les artistes se sentaient comme chez eux. Les nombreuses caricatures que les artistes de « l’Unionka » ont effectuées les uns sur les autres prouvent la bonne entente qui régnait au sein de ce café.

Le Café Union comme bureau de rédaction de revues

Ces artistes engagent à l’époque une véritable révolution artistique et diffusent leurs idées par le biais de plusieurs revues. Le Café Union devint ainsi le bureau de rédaction de différentes revues auxquelles participèrent ses habitués. En 1911 quelques artistes dont Josef Čapek créent le groupe Skupina výtvarných umělců (Gruppe bildender Künstler), un groupe annexe au « Mánes ». De ce groupe nait la revue Umělecký měsíčník dont les articles seront formulés et débattus au Café Union. Dans les années vingt et trente, les frères Čapek prêtent leur plume au journal Lidové noviny (le quotidien du peuple) qui devient le journal de référence de l’intelligentsia pragoise. Dans un feuilleton publié en 1938 dans le quotidien pragois Lidové noviny, Karel Čapek décrit la profusion des revues qui furent créées à « l’Unionka » :

A une table Wirth rédigeait les revues « Styl » et « Umělecký měsíčník », à une autre Bass, Brunner et Kratochvíl fondaient les revues « Letáky » ou « Šibeničky », à la troisième Janák, Gočár, Filla, Gutfreund, Franta Langer, Špála, Beneš et les autres débattaient sur le « Umělecký měsíčník » […]

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.272.

Le personnel du café

La personnalité qui régissait la vie du Café Union était « Ober Patera ». Tandis que les serveurs et patrons des autres cafés tombèrent définitivement dans l’oubli, « Ober Patera » est resté la figure symbolique du Café Union. František Patera était en effet bien plus qu’un chef de rang de Café, selon l’écrivain Emil Artur Longen il était un mécène : « avec lui [Patera] un mécène de la bohème pragoise de l’époque s’est envolé, un mécène des adeptes d’art, des hommes de lettres, des journalistes et des hommes pourvus d’un avenir politique ». František Langer dans Arma virumque le considère ainsi : « il était largement plus qu’un serveur, il était le bon esprit du Café Union ». C’est grâce à ce petit homme chauve et trapu si le Café Union fut aussi bien approvisionné en journaux européens et devint un « Lesecafé » (café de lecture) très célèbre. Il payait les journaux avec ses pourboires et c’est pour cette raison qu’il vérifiait à tout moment de la journée si les clients les lisaient avec application.

 Photographie de Ober Patera, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990          Caricature de Ant. Pelc représentant Ober Patera, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

Les journaux

Le Café Union était un des cafés où il y avait le plus de journaux : le Café Union et le Café Arco étaient en compétition sur la diversité des journaux proposés dans leurs établissements. A l’époque les journaux étaient payés par les chefs d’établissement. Ober Patera, l’hôte légendaire du Café Union, avait abonné le Café Union aux journaux européens les plus importants. František Langer détaille les journaux qu’on pouvait lire au Café Union :

Il [Patera] abonna le Café Union aux plus importants journaux européens, à beaucoup de journaux viennois, aux journaux pragois en plusieurs exemplaires, à une quantité énorme de gazettes provinciales, et ajoutons à cela des journaux et des revues spécialisées hebdomadaires et mensuelles, un grand nombre de journaux d’art et de mode ainsi que des journaux illustrés et des revues en langue allemande, et en français et en anglais également.

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.8.

Cette énumération montre la grande diversité des journaux lus par les clients du Café Union. La présence de journaux et de revues en langue allemande montre que le Café Union n’était pas un lieu cloisonné, malgré sa clientèle majoritairement tchèque. Au contraire, il y avait même des échanges entre les artistes tchèques du Café Union et les artistes germanophones du Café Arco.

Les échanges entre le Café Union et le Café Arco

Malgré le fossé entre les deux cultures allemande et tchèque, ces dernières n’étaient pas complètement étanches. Certains artistes étaient bilingues et échangeaient leurs travaux, débattaient et rendaient visite à leurs pairs de l’autre culture dans leurs cafés respectifs. František Langer confie en effet :

Nous aussi allions parfois chez eux [Werfel, Kafka, Brod, Kisch] […] Et c’est ainsi que nos artistes y allaient pour se mettre au courant de ce qui intéressait le monde artistique, à dire vrai le monde entier, en somme de toutes les choses qu’ils ne pouvaient pas apprendre au Café Union, et qu’ils pouvaient dénicher au Café Arco. La relation entre nous et les jeunes auteurs allemands était particulièrement amicale. Nous nous intéressions réciproquement à nos travaux, échangions nos premiers jets et Brod tout comme Pick s’occupaient déjà à l’époque de la musique et littérature tchèques et aidaient à surmonter les barrières de la langue.

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.13.

Les cafés étaient à l’époque des endroits qui témoignaient d’une véritable multiculturalité. A une époque où les nationalismes étaient exacerbés, il était pourtant possible d’assister à un échange culturel au sein des cafés, quelles que soient leurs tendances respectives.

Ce qu’est devenu le Café Union

Le Café Union, déjà démodé dans les années vingt, voit son activité s’étioler dans les années trente. Le bâtiment est menacé d’être détruit à plusieurs reprises. Le café fut démoli en 1949 malgré les protestations de Karel Čapek dans un feuilleton publié en 1938 dans le quotidien pragois Lidové noviny :

J’en appelle au club pour le vieux Prague, au bureau des monuments, aux associations d’artistes et de gens de lettres, au groupe Devětsil, j’en appelle à tous les partis politiques […] Aidez nous ! L’Unionka est menacée ! Ne faites pas comme si vous ne saviez pas ce que signifie l’Unionka. L’Unionka est un monument. L’Unionka est une réserve. L’Unionka est un lieu où […] le souffle des générations des lettrés et des artistes est retenu. Pendant des années je ne suis pas retourné là-bas. Mais si j’y allais je retrouverais le souffle de mes vingt ans. Ô toi bienheureuse époque !

témoignage traduit de l’allemand,
In: Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffeehaus,
Berlin, Volk und Welt, 1990, p.272.

Caricature de Fr. Bidlo représentant Karel Čapek, Jähn, Karl-Heinz, Das prager Kaffehaus, Berlin, Volk und Welt, 1990

La destruction du bâtiment laissa place à une maison d’édition, éliminant à tout jamais un des cafés les plus connus de Prague.