Le Café Louvre fut ouvert en 1902 dans la Narodní trida qui était à l’époque la Ferdinandstrasse. Le Café Louvre était déjà à l’époque un établissement spacieux et agréable : une lumière naturelle pénétrait dans les pièces, il y avait quelques miroirs et les murs étaient de couleurs pastelles. Il était composé de deux salles de billard qui contenaient douze tables de billard de style américain.

Clients du Café Louvre  : fascicule trouvé sur place au Café Louvre
Façade extérieure du Café Louvre  : fascicule trouvé sur place au Café Louvre

La clientèle

La clientèle était aisée et elle se composait aussi bien de Tchèques que de germanophones. Les publicités du Café Louvre étaient en effet écrites dans les deux langues et elles s’adressaient ainsi aux deux populations.




Affiche publicitaire du Café Louvre, en langue tchèque  : fascicule trouvé sur place au Café Louvre



Les brentanistes

Affiche publicitaire du Café Louvre, en langue allemande  : fascicule trouvé sur place au Café Louvre

On pouvait y rencontrer des personnalités comme les professeurs Oskar Kraus, professeur de philosophie à l’université allemande de Prague, et Alfred Kastil, philosophe germanophone, qui étaient des élèves de Brentano. Ces disciples du philosophe et psychologue catholique allemand Franz Brentano s’y rencontraient tous les quinze jours afin de débattre sur des thèmes philosophiques et également scientifiques. Max Brod était admis à ces réunions et dans son autobiographie Une vie combative il précise :

A Prague au « café Louvre » […], un cénacle de philosophie se réunissait tous les quinze jours, aux heures de la soirée, dans une pièce tranquille à part, donnant sur la cour. C’était à proprement parler une dépendance de l’Université allemande, où la doctrine de Franz Brentano résonnait d’un pouvoir presque illimité.

Lemaire, Gérard-Georges, Kafka,
biographie, Paris, Gallimard, 2005, p. 61-62.

Kafka et Max Brod

Kafka et le « cercle de Prague » y venait régulièrement entre 1902 et 1906. La Lesehalle et la Redehalle (salles de lecture et discussion) des étudiants allemands pragois où ils avaient l’habitude de se rendre se situaient au numéro 12 de la Ferdinandstrasse, c'est-à-dire à quelques pas du Café Louvre. Kafka, Brod et Weltsch n’étaient en effet encore que des étudiants en droit à l’époque. Mais une dispute entre Max Brod et Emil Utitz, un philosophe pragois germanophone, à l’automne 1905 instaura de mauvais rapports entre le « cercle de Prague » et les disciples de Franz Brentano. Max Brod avait en effet osé égratigner la philosophie brentaniste dans son œuvre Zwillingspaar von Seelen. Il y eut une confrontation entre Brod et Utitz lors d’une réunion au Café Louvre. Kafka prit le parti de Brod et ils décidèrent de quitter définitivement ce café.

Les femmes émancipées allemandes et tchèques

La clientèle du Café Louvre comptait également un grand nombre de femmes émancipées, qui, au lieu de recevoir chez elles comme le faisait la génération précédente, se rencontraient là-bas. Elles appartenaient à la haute société tant germanophone que tchèque. Berta Fanta, épouse du riche propriétaire de la pharmacie médiévale La Licorne, en faisait partie. Cette dernière était véritablement engagée dans la vie culturelle de Prague et avait pour habitude de réunir chez elle, dans son salon de l’Altstädter Ring des artistes et intellectuels, et également de les rencontrer au Café Louvre. Ainsi, le Café Louvre devient quelques années plus tard le prolongement naturel de son salon. En ce qui concerne les sujets de conversations de ce groupe, Wilma Iggers dans son livre Women of Prague (p.143) précise leur nature :

Comme nous l’avons signalé, un fossé séparait la culture tchèque et allemande à Prague. Berta Fanta et ses amis lisaient les belles-lettres de la littérature d’Allemagne, Autriche et des pays dont la langue n’était pas l’allemand, mais presque assurément ils ne lisaient pas de littérature tchèque. La musique était la seule exception. Fanta assistait à des concerts de Smetana et Dvořák, et avait même l’air d’avoir eu une affinité émotionnelle spéciale à leur égard.

Peinture de Jan Zrzavy, « Kavárna »  : Bendová Eva, Pražské Kavárny a jejich svět, Prague, Paseka, 2008.

Une interpénétration des deux cultures dans ce cas précis des habitués du Louvre est à noter car elle signifie que les deux cultures n’étaient pas totalement imperméables l’une à l’autre. C’est dans des lieux tels que le Café Louvre qu’elles entrèrent en contact.

L’association Sursum

Les personnalités germanophones n’étaient pas les seules à fréquenter le Café Louvre, en effet des artistes du milieu tchèque venaient s’y réunir. L’association artistique Sursum s’était formée dans la deuxième vague symboliste d’avant-guerre et comptait parmi ses membres des grands noms de l’art moderne tchèque comme les peintres Jan Zrzavý et Josef Váchal.

Carte postale représentant les membres de l’association « Sursum » : fascicule trouvé sur place au Café Louvre

Les professeurs et académiciens enseignant aux universités allemande et tchèque de Prague

Des académiciens et professeurs se réunissaient également au Café Louvre comme par exemple les professeurs Emil Utitz ou le psychologue Josef Eisenmayer. Dans les années 1911-1912 Albert Einstein travaillait à l’université allemande de Prague et avait l’habitude de venir au Café Louvre avec Georg Pick, mathématicien germanophone et Vladimir Heinrich, professeur d’astronomie à l’université tchèque de Prague. Au Café Louvre se côtoyaient donc des professeurs des deux universités, malgré la séparation de l’université de Prague en 1882 en deux parties indépendantes les contacts entre les professeurs de chacune ne s’étaient pas rompus.

Ses particularités

Les lectures d’œuvres étaient fréquentes : les auteurs lisaient leurs propres œuvres et également des livres d’autres écrivains en rapport avec leurs intérêts. Max Brod fait référence dans son journal de bord à cette activité de groupe pendant laquelle ils lisent volontiers des auteurs étrangers :

Avec K. au Café Louvre, nous lisons Laforgue. De belles et douces heures, pendant lesquelles je me sentais pleinement en sécurité.

traduit de l’allemand,
In  : Klaus Wagenbach : Franz Kafka. Eine Biographie seiner Jugend.
1883-1912, Bern, 1958, S. 229.

L’établissement possédait les plus grandes salles de billard des cafés pragois et des concours de billard étaient organisés au Café Louvre chaque année  : les meilleurs joueurs de Prague avaient l’habitude de se rencontrer là-bas. En ce qui concerne le domaine de la musique, deux concerts étaient organisés chaque année.

Photo ancienne d’une des salles de billard de l’époque  : fascicule trouvé sur place au Café Louvre

Ce qu’est devenu le Café Louvre

Il fut fermé en 1948 sous le régime communiste, et remplacé par des bureaux. Après une longue période d’inactivité imposée, il fut réouvert en 1992.  Il fait encore partie des plus beaux cafés de Prague : pour y accéder il faut monter un grand escalier qui mène au 1er étage. La salle de billard d’autrefois a été remplacée par une salle de restauration. Par souci de faire revivre la tradition le Café Louvre a tenu à reconstruire une salle de billard dans une autre salle. C’est l’un des rares cafés à avoir conservé l’ambiance des cafés de l’époque.

Photo actuelle du Café Louvre  : site Avant-Garde Prague  Photo actuelle du Café Louvre  : site Avant-Garde Prague
Photo actuelle du Café Louvre  : site Avant-Garde Prague Photo actuelle du Café Louvre  : site Avant-Garde Prague